Violences obstétricales

Quand naissance rime avec violence


Je vais revenir cette semaine sur mon accouchement. J’en ai déjà fait le récit (cf. L’accouchement, le choix physiologique) il y a quelques mois, cependant plus le temps passe et plus je me rends compte que tout n’était pas si merveilleux que ça.

 

 

Le jour de ma sortie de la maternité, le chef de service faisait son tour et il est venu me voir pour savoir comment j’allais et comment c’était passé l’accouchement. J’étais shootée aux hormones du bonheur, autant dire que mon discours était plus qu’élogieux envers le personnel et les conditions matérielles de la maternité 😁.

Il m’a alors demandé de mettre ceci par écrit et lorsque j’en aurai le temps de faire parvenir cette lettre à la direction afin de les informer des choses positives qui avaient cours dans leur hôpital. J’étais totalement partante et enthousiaste à l’idée de rédiger cette lettre et de pouvoir valoriser les métiers de sage-femme et d’auxiliaire puéricultrice que je trouve magnifiques et essentiels.

 

J’ai très vite voulu écrire cette lettre, mais les rares fois où j’arrivais à me poser pour mettre les mots sur le papier, ça n’allait pas, je trouvais ça vide, ça sonnait faux. Et puis au fil tu temps j’ai mis ça de côté. Je n’y arrivais pas. Je me suis heurtée à mon inconscient qui sentait que quelque chose bloquait et m’empêchait de rédiger cette lettre.

C’est grâce aux récits d’accouchement d’autres femmes, en prenant le temps de mettre le mien par écrit et surtout en reparlant de tout ce que j’avais vécu à la maternité, que j’ai compris pourquoi je n’arrivais pas à écrire une lettre élogieuse pour ces équipes.

J’étais en état de choc post-traumatique.

 

 

C’est un terme fort, que je n’aime pas, mais qui représente pourtant ce que j’ai ressenti.

Alors je le dis à posteriori et sans rancoeur, ni colère ni mal être, mais j’ai vécu ce choc traumatique en salle d’accouchement, et la suite de mon séjour à la maternité n’a rien arrangé, pour la bonne et simple raison que je n’en avais pas conscience moi-même. Ce n’est que maintenant (19 mois plus tard), en écrivant cet article que je mets des mots sur mes maux.

 

Je me rends compte de ce que j’ai subi durant mon accouchement que je pensais si respectueux.

Je me rends compte du traumatisme que ça a été pour moi, pour mon corps et aussi pour mon fils qui l’a subi indirectement.

 

 

J’ai expliqué au travers de différents articles mon projet de naissance (cf. Mon projet de naissance avant/après), à quel point c’était important pour moi d’accoucher naturellement, avec le moins d’intervention médicale possible.

 

Et ce fut le cas.

Jusque’à la dernière demi-heure, qui correspond à la phase d’expulsion de mon bébé, j’étais seule dans ma bulle durant tout le travail. Le papa était là à mes côtés mais totalement en retrait. Je le savais présent, mais je n’avais pas besoin à ce moment là qu’il fasse quoi que ce soit.

On avait prévu des playlists, des CD, des activités ensemble, mais rien de tout ça n’a été utile pour moi. Je voulais du silence, du calme et qu’on ne me touche surtout PAS.

 

Tout ceci a été respecté sans même que j’ai à le formuler.

Mon mec a tout de suite compris qu’il devait me laisser gérer à ma façon, sans intrusion, sans mot, sans pression. La sage-femme également, elle osait à peine entrer dans la pièce tellement tout y était silencieux et paisible.

 

Elle a respecté ma demande d’accompagnement dans mon choix de ne pas avoir la péridurale, elle a essayé de m’aider à gérer les contractions, mais j’y arrivais très bien toute seule donc elle n’avait pas grand chose à faire avec moi. Heureusement pour elle vu que cette nuit là la maternité était saturée, elle avait sûrement plusieurs autres mamans à aider.

D’ailleurs je tiens à signaler qu’à aucun moment elle ne m’a fait comprendre qu’elle était débordée, qu’elle avait mieux à faire dans la chambre d’à côté ou autre.

Non, j’ai eu l’impression d’être la seule au monde cette nuit là, est-ce à cause des endorphines que mon corps en travail sécrétait ou grâce à sa bienveillance et son professionnalisme ? Je ne le saurai jamais, ceci étant j’ai été respectée dans ma phase de travail.

Je précise travail, parce que pour la phase d’expulsion ça n’a pas été le cas, et c’est là tout le sujet de cet article.

 

 

Comme je l’ai déjà raconté ailleurs, j’ai eu un accouchement rapide, 4 heures après mon arrivée à la maternité mon fils était dans mes bras. J’avais expressément informé le personnel que je ne voulais pas de péri et que je voulais pouvoir accoucher dans la position de mon choix.

 

Pour la péri pas de souci, ma sage-femme ne me l’a pas proposée, en revanche dès que j’ai perdu les eaux et que tout s’est accéléré en l’espace de 10 secondes, je n’ai plus eu voix au chapitre.

Je ne voulais pas m’allonger sur leur lit gynécologique, je ne voulais pas accoucher les pieds dans les étriers, et j’ai dit que je ne pouvais pas m’allonger parce que je le sentais pousser.

 

J’étais debout à ce moment là, je venais de rompre la poche des eaux, il y avait de l’eau partout, et j’ai senti en même temps mon bébé descendre dans mon bassin et toquer à la porte de sortie. Je savais qu’il arrivait.

 

J’étais donc debout, les pieds pataugeant dans le liquide amniotique, le corps plié en 2 de douleur et surtout prête à faire sortir très vite mon bébé de mon utérus pour que la douleur s’arrête.

Je voulais rester dans cette position, mon instinct me disait d'y rester, je m’y sentais forte et « confortable » pour mettre au monde mon bébé. Seulement les soignantes présentes ont insisté pour que je me rallonge pour qu’elles puissent voir à combien j’étais dilatée. Je ne voulais pas, mais elles ont insisté et insisté, je comprenais leur raison, mais j’avais si mal que bouger était une souffrance. J’ai fini par m’allonger n’importe comment, à moitié en travers, le coccyx sur une barre en métal au milieu du lit, bref pas du tout confortable.

 

C’est à ce moment que la sage-femme me dit que je suis à 10 et que c’est parti, le bébé arrive.

Je suis trop contente à ce moment pour essayer de me souvenir de mon projet d’accoucher dans la position de mon choix. Je me concentre sur la poussée et le reste n’existe plus.

 

Seulement il faut savoir que cette position inconfortable dans laquelle je me suis mise tant bien que mal pour qu’elle m’ausculte, eh bien ce fut ma position d’accouchement. Allongée, en position gynécologique, à forcer comme une malade, les fesses posées sur une barre de fer. Autant dire que ce ne fut pas très efficace et surtout très douloureux.

Mon fils a fini par sortir, au bout d’une demi-heure de poussée à ne pas comprendre ce qu’on me demandait, et au prix d’une bonne déchirure.

 

 

Ça encore ok, je savais que ça pouvait arriver, je préférais la déchirure naturelle à l’épisiotomie, chacun son avis là-dessus, on ne juge pas.

Par contre cette foutu position dans laquelle j’étais depuis le début de cette phase d’expulsion, eh bien j’y suis encore restée le temps qu’on me recouse. Et c’est là le choc traumatique dont je parlais.

J’avais mon bébé sur la poitrine qui cherchais à téter et je me retenais de hurler tellement ça me faisait mal d’être dans cette position et surtout, surtout d’être recousue à vif !

 

Bien sûr que ma sage-femme a essayé de m’anesthésier localement avec un spray à la c**.

Bien sûr qu’elle s’est excusée de me faire mal, qu’elle y allait doucement pour limiter la douleur. Bien sûr qu’elle n’a pas voulu être violente avec moi. Seulement voyant que ses efforts ne marchaient pas (les points de suture sautaient) elle a du faire appel à l’obstétricien de garde, et là on est passé dans une autre dimension les gars !

 

Je tenais mon bébé d’une main, je me cramponnais aux barreaux du lit de l’autre. C’était une douleur atroce. Je préférais encore les contractions.

J’ai pleuré je crois. J’ai supplié que ça s’arrête. J’ai imploré qu’on m’injecte un produit, mais il y est allé comme un bourin, il voulait faire vite, je n’ai jamais su pourquoi. Il s’excusait en même temps qu’il piquait, mais moi j’avais trop mal pour réagir en fait.

Et surtout j’avais mon magnifique bébé sur moi. Je voulais ce peau à peau, je voulais faire cette première tétée, je voulais cette fusion de nos regards. A tel point que j’ai serré les dents, j’ai retenu mes cris et j’ai prié pour que ça se finisse vite.

 

 

Je ne sais pas combien de temps ça a duré, plusieurs minutes, mais avec un ressenti d’éternité.

Je sais que ni le gynécologue ni la sage-femme ne voulaient me faire mal, je sais qu’ils faisaient de leur mieux pour me recoudre au plus vite, mais pourquoi être si pressé ?

 

Mon chéri m’a avoué récemment qu’il n’avait pas été très rassuré à ce moment, parce que lui voyait tout le sang que j’avais perdu et selon lui le personnel devait craindre une hémorragie ou autre complication. Je ne sais pas, je n’ai jamais eu d’explication et je trouve ça dommage. J’aurais eu besoin de comprendre, juste savoir pourquoi on m’avait infligé autant de souffrance m’aurait peut-être permis de mieux digérer les choses.

 

Je ne leur en veux pas. Je considère toujours que j’ai eu un bel accouchement, et je ne veux pas penser que j’ai été maltraitée. Ce n’est pas le souvenir que je veux garder de la naissance de mon fils.

Cela dit, lui aussi a été touché par cette violence. Il était dans mes bras, il devait me sentir tellement crispée, tellement en souffrance, qu’il a eu tant de mal à prendre le sein à ce moment là, et plus généralement ça explique pourquoi l’allaitement a été si difficile. On avait pris un mauvais départ.

 

 

Pourquoi raconter ça aujourd’hui ? Pourquoi revenir dessus et ne pas juste oublier ?

Pour partager d’une part, c’est la raison d’être de ce site.

Et pour exorciser d’autre part.

Je n’avais jamais réalisé à quel point j’avais eu un accouchement traumatique. Je ne l’avais jamais vu sous cet angle, et pourtant je savais que quelque chose n’allait pas. Je sentais une douleur en moi que je n’identifiais pas.

 

Ce n’est pas seulement anecdotique ce que j’ai vécu dans cette salle d’accouchement. J’ai eu très mal durant de nombreuses semaines, pas à cause de mes points de suture, mais de la position dans laquelle j’étais restée durant tout cette phase.

Rien n’a plus été à partir du moment où mon choix, ma demande, n’a pas été respecté. Si j’avais accouché debout comme je le voulais à cet instant, peut-être n’aurais-je pas eu de déchirure, donc pas de suture à vif, donc pas de crispation et un bébé qui aurait facilement pris le sein…

Mais comme on dit, avec des « si » on mettrait Paris en bouteille.

 

 

J’en parle aussi pour lutter à ma manière contre les violences gynécologiques et obstétricales. Ce n’est pas la seule que j’ai subi, ni la pire, mais c’est celle qui a marqué mon engagement.

Depuis, je sais que je peux dire non ; je sais que je DOIS dire non quand je ne suis pas d’accord, et que le corps médical n’est pas tout puissant.

 

Je ne pense pas être la plus en souffrance, je ne pense pas être à plaindre, à tel point que j’ai nié jusque là ce que j’avais vécu, ne m’estimant pas assez victime pour oser prendre la parole sur le sujet des violences.

Je ne me considère pas victime, je ne me pose pas en victime, je dis juste que j’ai subi des violences lors de mon accouchement. Peut-être ne suis-je pas légitime pour en parler. Certains penseront que je ne suis qu’une chochotte trop douillette, que ce sont des pratiques acceptées et acceptables et que je ne dois pas prendre la parole sur des choses que je ne connais pas. Je ne sais pas qui a raison, mais c’était important pour moi de livrer ici mon histoire.

 

 

On est donc loin de la gentille lettre d’éloges pour ma maternité. Peut-être qu’un jour j’arriverai à leur écrire tout ça, et surtout faire en sorte que les choses changent et qu’on écoute enfin les femmes ; qu’on arrête de les infantiliser durant la grossesse, et qu’on leur redonne toute la place et la puissance qu’elles méritent en salle de naissance !