La liberté de choisir

Le récit de mon IVG


Notre vie est faite de choix et devenir mère est un choix, en tout cas en France et en 2022. Même si la grossesse n’était pas prévue, ni même désirée, on a le choix de la poursuivre ou non. C’est un droit inaliénable à mes yeux et avorter ne fait pas de nous de mauvaises femmes, ni même de futures mauvaises mères. Mais puisqu’un avortement est comptabilisé comme une grossesse dans le parcours gynécologique d’une femme, je me devais d’en parler ici.

J’en parle librement, sans honte ni regret. J’assume le choix que j’ai fait de ne pas devenir maman à ce moment là, je n’ai aucun souci moral ou religieux avec ça et je revendique mon droit à y recourir.

 

 

Parce que j’ai fait le choix ce jour là de ne pas mener à terme cette grossesse, voici ma version.

 

Une forte sensation, un pressentiment solide que mon corps était différent, qu’il se passait quelque chose en moi et que j’étais enceinte.

D’emblée j’y ai pensé et j’ai donc fait le test de grossesse, un dimanche matin seule chez mes parents parce qu’il ne fallait surtout pas qu’il y ai quelqu’un avec moi. J’ai accueilli sans surprise le résultat positif du test. Mes yeux se sont écarquillés au terme des 3 minutes réglementaires et j’ai accepté la nouvelle comme le soulagement que mon intuition ne m’avait pas trompé.

 

J’étais sereine et rassurée de savoir que c’était ça et non une illusion de mon esprit. Mais maintenant il fallait prendre les choses en mains parce que je savais, sans aucune hésitation, pas même une demi seconde, que je ne garderai pas cette chose en moi.

Tout de suite j’ai refusé de parler ou de penser en terme d’enfant et de mère. J’étais enceinte et j’allais interrompre une grossesse, rien d’autre. Ce sont les mères qui attendent un enfant, moi je n’étais rien de tout ça, juste une fille qui ne voulait pas poursuivre cette grossesse. Je n’ai à aucun moment humanisé cette grossesse, j’ai fait les choses de façon totalement impersonnelle et détachée, en tout cas le plus possible. C’était ma façon à moi de me protéger, parce que je savais que sinon ce serait trop dur psychologiquement et mon cerveau m’a tout de suite protégée en se mettant sur pilotage automatique, sans plus aucune émotion à ce sujet.

 

J’ai donc pris mon ordi et fait ma recherche pour savoir quelle était la démarche à suivre.

Tout de suite je suis tombée sur un site très clair, expliquant chaque étape et les délais, ainsi que la version médicamenteuse ou chirurgicale.

En moins de 10 minutes je savais comment procéder et ce que j’allais choisir comme mode d’avortement. C’était dimanche, je devais attendre le lendemain pour prendre un rendez-vous avec le généraliste. Je ne voulais surtout pas que se soit mon médecin traitant, j’avais trop honte je crois et puis il connaissait toute ma famille, je ne voulais pas le mettre dans une situation gênante. Et s’il n’avait pas été d’accord, j’aurais du changer de médecin, or je l’aimais bien, donc je ne voulais pas prendre ce risque.

 

J’ai opté pour le premier docteur près de chez moi que j’ai trouvé.

Chaque détail est gravé en moi : je me souviens de la poussière, de la vieillesse du cabinet, c’était sombre et miteux. Je n’étais pas à l’aise, mais tout ce que que je voulais c’était cette fichu lettre pour avoir accès à la suite du processus.

J’ai d’emblée parlé de ma grossesse, il a sorti une sorte de calendrier en forme de roue que j’avais déjà vu dans des films lorsque les médecins calculent la date de conception du bébé. Aussitôt je l’ai stoppé voyant qu’il se méprenait sur mes intentions et je lui ai dit vouloir avorter. Il a tout de suite rangé sa roue et m’a dit qu’il fallait que je prenne rendez vous auprès du CHU, qu’il allait me faire une lettre.

Il a ajouté des choses concernant la procédure, mais rien de culpabilisant ou de méchant, à aucun moment il ne m’a jugée, mais je me sentais très mal à cause de l’ambiance de son cabinet et lui aussi faisait assez malsain comme docteur.

Je suis donc ressortie très vite avec mon Graal en poche et j’ai aussitôt appelé l’hôpital pour prendre rendez-vous pour avorter.

 

 

Avorter c’est, en plus de tout le reste, une vraie course contre la montre. J’avais un peu de temps, mais il ne fallait pas trainer, il y a le délai légal et surtout il y a cette chose qui grandit en nous.

Il y a les premiers symptômes qui apparaissent et que vous ne voulez surtout pas ressentir et encore moins montrer.

Je savais que les centres étaient saturés, mais j’ai eu la surprise d’avoir un rendez-vous pour la fin de semaine, le 22 juin pour être exacte. Je me raccrochais donc à cette idée que tout serait très vite terminé.

 

Mais c’est l’étonnement et la déception qui ont suivi lorsque le 22 j’ai compris que je ne serai pas débarrassée ce jour là. Il s’agissait d’un premier rendez-vous, pour m’expliquer les choses et faire l’écho (intra utérine). Tout ce que je comprenais c’est que j’allais encore être malade pendant 1 semaine.

 

Jamais je ne me suis sentie jugée, ni empêchée de faire ce que je voulais. Bien sûr la gynéco m’a demandé si j’étais sûre de moi et c’était fini. Je comprenais que légalement elle devait le faire et ça ne n’a pas gênée.

Par contre ce qui m’a dérangé c’est de devoir à tout prix choisir une contraception. Elle a fortement insisté et là je me suis sentie piégée. J’ai opté pour ce que je croyais le moins pire, pourtant ce que je détestais et refusais le plus avant, la pilule.

 

J’ai donc passé l’écho de contrôle obligatoire, jamais elle ne m’a parlé de bébé, ne m’a fait entendre le coeur, peut-être aussi était-il trop tôt pour cela.

Tout allait bien, elle a déterminé la date de conception pour connaître le nombre de semaines d'aménorrhée, puis m’a demandé si cela correspondait bien à la réalité. J’ai acquiescé et tout était fini pour cette partie là. Je sais tout ça parce qu’elle me l’a expliqué, ou plutôt elle l’expliquait à l’interne qui l’assistait.

Ensuite elle m’a demandé quel mode je préférais en prenant soin de m’expliquer les 2 versions et j’ai choisi la voie médicamenteuse, tout simplement parce que la version chirurgicale me faisait un peu peur et surtout parce qu’il aurait fallu que je prévienne quelqu’un, et à ce moment là c’était hors de question que je le dise à qui que ce soit.

J’avais dépassé le délai légal pour le faire à la maison, donc je devais revenir une semaine plus tard pour le faire à l’hôpital. Sur le coup ça m’a ennuyé, mais avec le recul heureusement que ça s’est passé là-bas.

 

 

Le jour J je suis venue, et là je me suis retrouvée dans la grande salle d’attente, à côté des femmes enceintes, parce que c’est au même endroit qu’on fait le suivi de grossesse et les avortements. Je n’ai pas été plus perturbée que ça, comme pour tout le reste, j’ai fait abstraction.

 

Pour ce qui est de la partie technique, on est venu m’installer dans une chambre individuelle. Je savais sur le papier ce qui allait se passer, j’allais prendre un médicament, j’allais expulser l'embryon et rentrer chez moi en fin de journée. Mais il y a une différence entre le savoir et le vivre.

Je ne sais plus si j’avais déjà pris un médicament la veille, je crois que oui, mais ce qui est sûr c’est que 30 minutes après avoir avalé le médicament que la gentille infirmière m’a donné, la première contraction est survenue.

Je me suis tout de suite sentie très mal, une douleur violente de déchirement en moi, j’ai couru aux toilettes et je suis restée pliée en deux un long moment au dessus de la cuvette, tout en essayant de ne pas vomir tripes et boyaux.

 

J’ai cru que jamais je ne réussirai à me relever. Le souvenir de cette douleur est inscrite en moi, jamais je ne pourrai l’oublier. Puis elle s’est progressivement atténuée. J’ai pu retourner m’allonger sur le lit, en boule, sans plus aucune force en moi.

L’infirmière est revenue, elle a constaté que j’avais expulsé l’embryon et m’a donné un cachet pour calmer la douleur.

 

Je ne sais pas pourquoi j’ai cru durant quelques minutes que j’allais y rester, que j’allais me vider de mon sang, tant le saignement était abondant. Je n’avais jamais perdu autant de sang, j’ai compris à ce moment ce que c’était de faire une fausse couche.

 

 

Je suis ressortie de l’hôpital dans l’après-midi et je suis rentrée me coucher chez moi.

Je me sentais soulagée et sale à la fois.

Personne, à aucun moment, ne m’avait critiquée ou jugée, mais c’était mon propre regard que je devais affronter.

 

J’ai très très vite mis tout ça de côté, émotionnellement parlant en tout cas, parce que le saignement fut encore abondant durant un mois. Lors de ma consultation de contrôle au bout de 10 jours je crois, la gynéco a constaté que des résidus persistaient, et la prise de sang obligatoire l’a confirmé, donc cela supposait que les pertes allaient continuer quelques temps encore, mais que tout allait bien.

 

 

Certes j’avais pris ma décision et elle était irrévocable. J’ai pu mettre toute cette expérience à distance et ne pas mal la vivre grâce à une force en moi que je ne saurai définir, mais je pense que toutes n’ont pas cette chance et qu’il serait alors bon de proposer un suivi psychologique, au moins une séance obligatoire pour que les femmes puissent évacuer, psychologiquement cette fois, leur honte, leurs émotions, leur peine parfois, leur colère aussi.

 

Et puis surtout si c’était à refaire, j’opterais pour la voie chirurgicale. La douleur qu’on ressent est vraiment très violente avec les médicaments et je ne comprends même pas qu’il soit possible de le faire chez soi. C’est un avortement, pas une gastro, il faut un entourage médical selon moi pour rassurer la patiente et pour intervenir en cas de problème.

 

 

A part ça je ne l’ai pas mal vécu. N’ayant jamais humanisé cette grossesse, je n’ai pas pu me projeter et considérer l’embryon comme un bébé potentiel. J’y ai repensé à quelques reprises depuis, notamment le jour où j’aurais été censé accoucher.

Oui malgré tout j’avais conservé en tête cette date, non que j’avais fait le calcul, mais c’était le médecin qui me l’avait dit avec sa petite roue de la fortune juste avant que j’ai eu le temps de lui dire que je n’étais pas là pour ça.

 

Je ne regrette absolument rien, ni à l’époque ni maintenant, pourtant je voulais un bébé ; je voulais devenir mère, mais pas une seconde je n’ai envisagé que cette chose que je portais en moi pouvait être mon enfant tant désiré. Non tout était très clair.

 

Pourquoi avorter alors ?

Pas prête ? pas envie ? pas le bon ? pas les moyens ? Il existe tout un tas de raisons qui justifient ce choix, mais elles n’appartiennent qu’à nous, et personne ne peut s’octroyer le droit de nous juger pour cela. C’est un droit que les femmes ont, à partir de là nulle raison de se justifier auprès de qui que ce soit, même si en pratique notre société nous le demande constamment.

 

 

Voilà mon histoire, mon avortement et je suis consciente d’être chanceuse contrairement à beaucoup de femmes qui doivent se battre pour faire respecter leur décision.

Je n’ai eu aucune séquelle psychologique, je n’ai pas eu à me justifier, et c’est déjà énorme, mais cela devrait être pour toutes les femmes la même chose.

Les personnes auxquelles j’ai eu à faire étaient très bien, très professionnelles, personne ne n’a mis de bâton dans les roues, mais ce n’est malheureusement pas le cas partout. J’ai eu accès aux bonnes informations aussitôt, mon expérience ne relève pas du parcours du combattant.

 

Le plus gros problème reste l’accès à un centre dans les délais impartis par la loi. C’était ma plus grande angoisse, ne pas avoir de place à temps, parce que je savais que dans certaines régions les centres sont saturés et l’attente est longue. Mais il faut savoir que parfois un centre un peu plus éloigné dans une plus petite ville peut proposer des délais de rendez-vous plus court.

 

Je tiens tout de même à rappeler qu’avorter n’est pas un acte anodin, c’est acte médical, voire chirurgical, qui nécessite une prise en charge par des professionnels compétents et bienveillants. Et je le redis, une petite séance chez le psy devrait être intégrée dans le suivi post-IVG, parce que ça ne fait jamais de mal d’extérioriser ses émotions, même si comme moi on a bien vécu la situation.

 

 

A toutes celles et ceux qui penseraient que je minimise cet acte, je répondrais qu’avorter n’est pas une partie de plaisir, mais c’est une option pour les femmes dans notre pays et je veux défendre ce droit que l’on remet encore trop souvent en question.

 

Pour celles et ceux qui le souhaitent je mets en lien ci-dessous mon avis par rapport à mon vécu,ce n'est pas la vérité absolue.

L'avortement

 

Ressources :

Le planning familial de votre ville

Numéro national anonyme et gratuit : 0 800 08 11 11

Site du gouvernement : http://ivg.gouv.fr