Lui dire ou ne pas lui dire ? Telle est la question

Que dire à son enfant quand on fait une fausse couche ?


Que dire à son enfant quand il nous voit triste, en larme ou effondrée sur le canapé à ne pas pouvoir bouger ?

Que lui répondre lorsqu’il demande ce qu’on a ?

Quoi lui dire lorsque soi-même on ne comprend pas ce qu’on vit ?

 

J’ai déjà parlé dans un précédent article de ce que je pensais du fait de taire les premières semaines d’une grossesse. Pour ceux qui l’on lu, vous savez que je suis plutôt partisane du chacun son choix, mais arrêtons de mettre un tabou gigantesque sur ce que vivent les femmes durant cette période. Arrêtons, nous les femmes, de nous museler et de passer sous silence ces semaines si on n’en n’a pas envie.

 

 

Lorsque je suis tombée enceinte cet été, j’ai fait le choix de le dire à des proches. Pour les raisons évoquées dans cet autre article sur lesquelles je ne reviendrai pas. J’ai tellement bien fait !

Par contre nous avions fait le choix de ne pas en parler à notre fils de 4 ans avant la fin du 1er trimestre pour ne pas avoir à lui annoncer une bonne nouvelle, sachant qu’il nous demande parfois une petite sœur ou un petit frère, puis ensuite une mauvaise qu’il n’aurait pas compris.

Arriva ce qui est arrivé, la grossesse s’est arrêtée.

 

Outre le fait de devoir encaisser la nouvelle soi-même, de devoir traverser ce moment physiquement et psychologiquement douloureux, il fallait aussi que je l’annonce aux personnes que j’avais informées. Je ne regrette rien car elles ont pu être là pour moi et cela a donné une existence à ce que j’ai vécu. Ce n’est pas venu puis reparti dans l’ignorance et le silence le plus total. Non, ça a existé parce que j’en ai parlé et parce que je l’avais matérialisé. J’en avais besoin.

Mais en plus il a fallu dire quelque chose à notre fils. Il a fallu lui expliquer pourquoi ses parents étaient tristes, pourquoi ils pleuraient et pourquoi maman avait mal au ventre.

 

 

Nous avons trouvé des mots au cœur de nos maux à nous. Nous avons verbalisé ce que nous avons pu. Nous voulions le protéger et lui épargner la réalité qui peut être effrayante pour un petit enfant, pour les adultes aussi d’ailleurs. Mais nous avons eu tort. Sur toute la ligne !

Avec 2 mois de recul j’ai compris qu’il ne faut pas édulcorer la réalité avec des tout petits. Il faut leur dire la vérité. C’est tout.

 

Lorsque nous lui avons dit que nous étions triste nous lui avons dit que c’était parce qu’on avait perdu quelqu’un qu’on aimait mais qu’il ne connaissait pas, que nous non plus nous ne connaissions pas mais qu’on aurait bien aimé qu’il fasse partie de nos vies. Il a pleuré parce qu’il sait ce qu’est la mort, il y avait déjà été confronté l’année passée avec le décès d’une de ses grand-mères. Il a comprit de quoi on parlait et nous a tout de suite demandé de lui donner le nom de cette personne. Il voulait mettre un nom sur la personne morte. Pour lui ce n’était pas concevable de ne pas avoir de nom et de ne plus exister. Alors on lui a donné le nom qu’on aimait bien pour ce futur bébé. Et il s’est arrêté de pleuré et a voulu qu’on lui lise un livre.

 

 

Je pensais que l’histoire s’arrêtait là. Qu’il était passé à autre chose vu qu’il ne nous en parlait pas, jamais. Ça aurait du me mettre la puce à l’oreille. Mais je pense que ça m’arrangeait bien car je pouvais ne pas y penser non plus. Même si dans les faits j’y pensais à peu près toutes les heures.

Puis 2 semaines plus tard son comportement s’est mis à partir en cacahuète.

Il est devenu agressif avec son père et moi, à ne plus rien vouloir écouter à ne plus respecter les règles de vie de la maison alors que jusque là tout allait bien.

Ses crises de colère ont commencé à devenir violentes envers nous, jamais envers quelqu’un d’autre. Il jetait tout autour de lui. Il hurlait et pleurait comme si sa vie en dépendait. C’était impressionnant et surtout épuisant.

 

Ce n’est qu’au bout de 2 mois que j’ai décidé d’aller voir sa pédiatre pour qu’elle me dise s’il avait besoin qu’on l’emmène voir un psy. Je voulais savoir si c’était une phase normale de son développement cette opposition agressive envers nous ou si c’était du à la fausse couche ? Oui depuis le début je reliais les 2 événements mais là encore je devais me voiler la face à ne pas vouloir creuser la concordance des temps.

Elle m’a alors demandé s’il s’était passé quelque chose depuis cet été. J’ai parlé de la fausse couche et elle m’a dit que c’était sûrement lié ; qu’on avait commencé le travail en lui parlant de la perte qu’on vivait, mais qu’il fallait aller plus loin en lui disant qui on avait perdu exactement.

En lui parlant de la grossesse et de son interruption. Il avait tellement bien compris ce qui se passait qu’il l’avait gardé comme un secret. Mais ce n’était pas à lui de porter ce secret et encore moins de nous protéger. Il savait que maman était malheureuse alors il a voulu prendre ma peine pour me soulager, mais ce n’est pas un petit enfant de 4 ans qui doit porter les peines de ses parents.

 

J’ai donc décidé de lui dire ce que j’avais vécu, avec des mots d’enfant bien sûr, mais qu’il comprenne enfin que ce n’était pas un secret. Parce que c’est vrai qu’il ne m’avait pas entendu en parler à qui que ce soit, même pas avec son père. Non pas que moi j’en ai fait un secret, mais ce n’est pas le sujet le plus family friendly que tu balances dans un repas le dimanche.

 

Sur le moment il a encore été triste, il a pleuré. Puis il a repris le cour normal de sa vie entrecoupé de crises de colère monumentale. Et moins de 40h plus tard c’était fini. Les crises se sont arrêtées. J’ai retrouvé mon petit garçon. Adorable, gentil, attentionné et câlin.

Non pas que les colères ont complètement disparus, mais ce sont des tempêtes émotionnelles normales cette fois, comme pour n’importe quel enfant de 4 ans. Je sais qu’à cet âge la gestion des émotions est ce qu’il y a de plus dur, leur cerveau n’est pas encore mature pour ça, donc ça ça va, je sais gérer. Mais cet été ce n’était pas ça du tout.

 

 

Maintenant je reprends plaisir à passer du temps avec mon fils, je suis contente et je n’ai plus peur de provoquer une crise au moindre faux pas de ma part. Sérieusement c’était à ce point. J’avais peur d’être avec lui, de rentrer à la maison tellement les crises régissaient notre quotidien et surtout on ne savait plus quoi faire pour l’apaiser et le rassurer.

Ce n’était pas de la frustration qui explosait, mais bel et bien de la colère, une colère intense et triste. Tout était puissant et tragique pour lui. Si jamais je me trompais de livre à lui lire, si jamais je ne mettais pas assez de lait dans son bib le matin ou si jamais je quittais la pièce sans lui dire où j’allais c’était le cataclysme absolu !

 

Maintenant on est revenu à une fréquence acceptable et gérable 😉.

 

 

Ce que je retire de tout ça, c’est qu’il faut parler aux petits.

Ils sentent tout sans comprendre ce qui se passe, et c’est ça qui leur fait peur, pas la réalité. La mort c’est à nous qu’elle fait peur, pas aux enfants de cet âge. Ils ne gèrent ni leurs émotions ni le temps comme nous. C’est un sacré avantage qu’on aimerait tous retrouver une fois adulte.

 

Je n’ai pas de conseil à donner aux parents qui traversent un deuil périnatal ou qui comme moi ont perdu un bébé avant même qu’il n’en est le nom. Mais si vous hésitez, si vous avez un doute, sachez que c’est vrai, les enfants ont besoin de savoir et de comprendre ce que vous vivez. J’ai dit à mon fils que j’étais triste, en colère et que j’avais parfois envie de crier moi aussi. Il m’a dit que ce n’était pas juste, qu’il aurait voulu un petit frère pour lui donner le bain et le biberon, pour le bercer pour qu’il fasse dodo. C’était très mignon et très douloureux pour moi, mais on a partagé notre peine tous les deux. On a pleuré ensemble sur ce qui ne serait pas et ensuite on a joué ensemble pour célébrer ce qu’on avait déjà. C’était un beau moment de complicité, qui n’a pas duré avant une nouvelle tempête émotionnelle, mais je pense que ça nous a fait du bien à tous les deux.

 

Je me suis sentie soulagée aussi. Non pas que j’avais l’impression de porter un poids depuis toutes ces semaines, mais le fait de devoir faire bonne figure devant mon fils, de devoir « aller bien » coute que coute, ça m’avait vraiment épuisée. Je ne m’en étais pas rendue compte avant ce moment de révélation, dans ma voiture en rentrant de l’école.

Oui, là franchement j’ai pas calculé le moment, rien à fiche du timing, il fallait que ça sorte. Sûrement que des pédo-psy diraient qu’il faut le bon moment, le bon contexte, les mots justes et le cadre adapté, mais alors moi j’ai tout lâché, il fallait juste que je me reconnecte à mon fils et qu’il arrête de m’en vouloir autant parce que moi aussi j’étais en colère.

 

 

Je pense aussi que ça m’a aidé à faire mon deuil. J’étais déjà plus apte à en parler depuis peu, mais là ça a fini de digérer le processus. Je suis en paix avec moi-même je pense. Je ne pleure plus, je ne suis plus submergée par le chagrin. Juste une pensée attendrie pour ce bébé qu’on ne connaîtra jamais.

 

Alors je le savais qu’il fallait tout dire aux enfants, qu’ils sont intelligents, qu’ils ont cette intelligence émotionnelle qu’on n’a plus forcément nous adultes coupés de nos émotions à force de pression de la société, mais je l’ai clairement compris en voyant à quel point verbaliser mon ressenti avec mon fils l’avait aidé. Et m’avait aidé aussi. Je n’ai plus à être forte pour lui, je n’ai plus à porter un masque de parade pour aller bien, je vais bien parce qu’il n’y a plus de non dits.