La fausse couche : coup de gueule

Parce que ça faisait longtemps, pour changer on va parler féminisme, patriarcat, sexisme, connerie congénitalement partagée par l’intégralité de la gent masculine et tabous.


Pourquoi ne pas dire qu’on est enceinte avant 3 mois ? Pourquoi garder sous silence cette immense nouvelle (pour beaucoup cette grande joie et pour toutes les autres, voire les 2, cette immense angoisse) ?

Jusque là je me disais que c’était par superstition, parce que parler de quelque chose qui n’est pas sûr ça porte malheur. Comme si annoncer sa grossesse faisait porter la faute d’une possible fausse couche sur le dos des femmes…tiens tiens…comme c’est étonnant. On tiendrait les femmes responsables de leur fausse couche ? Non, improbable dans une société aussi évoluée que la notre.

 

On recommande, médecins en premier lieu, de ne pas trop en parler avant le 2e trimestre, comme si passé ce délai légal on serait immunisé contre toute fausse couche tardive, ou IMG (interruption médical de grossesse), ou arrêt subit du coeur du foetus à 8 mois de grossesse. Certes la majorité des interruptions spontanées a lieu au cours du 1er trimestre, mais malheureusement cela ne protège pas de tout.

En fait j’ai compris. On demande aux femmes de se taire, ni plus ni moins.

On leur demande de garder le silence parce qu’on ne veut pas avoir à faire face à leur détresse en cas de problème. Parce qu’on ne sait pas la gérer.

On ne sait tellement pas gérer les émotions qu’on préfère ne pas les connaître, ne pas les entendre. Si on ne sait pas, on n’a pas à s’y confronter. La détresse d’une femme qui perd son bébé met mal à l’aise. Elle dérange parce qu’elle renvoie à la mort, à la souffrance et surtout à des problèmes de « fille ».

 

Dire aux femmes de se taire, de garder le secret c’est leur faire comprendre tacitement qu’en cas de problème elles seront seules, parce que personne ne veut faire face à leur douleur.

On doit taire nos grossesses pour ne pas invoquer le mauvais oeil ; taire nos fausses couches pour ne pas déranger ; taire nos maux de grossesse parce que donner la vie mérite un peu de souffrance ; taire nos post-partum, nos lochis, nos tranchées, nos crevasses, nos épisiotomies, nos cicatrices, nos choix…

Bref on doit juste subir et se la boucler ! Il ne manquerait plus qu’on pense, qu’on se parle et qu’on s’unisse dis donc !

 

 

C’est la loi de l’omettra. Tout ce qui touche aux femmes doit être passé sous silence. Des tas de machos sexistes et arriérés diront que c’est le « mystère » des femmes, qu’elles sont complexes, mais non en fait les femmes n’ont rien de mystérieux, c’est juste qu’on les bâillonne depuis leur naissance !!!

Alors on apprend à se taire, à ne pas se plaindre et à encaisser en serrant les dents en silence. C’est notre réalité.

 

Moi j’ai choisi de ne pas me taire, de dire que j’étais enceinte à moins de 4 semaines de grossesse. J’ai décidé qu’en cas de besoin je préférais ne pas être seule, isolée et coupable.

Parce que même si on sait objectivement qu’on n’y peut rien, qu’on n’a rien fait de mal, on se sent coupable d’avoir perdu ce bébé. Ne serait-ce que cette expression. Bah non, JE n’ai pas perdu un bébé, c’est LA grossesse qui s’est arrêtée. Je ne suis ni responsable, ni coupable de cette perte.

 

Malgré tout je ne peux m’empêcher de me sentir coupable parce qu’il était en moi, j’en avais la garde et la protection, et j’ai failli. Je me sens honteuse d’échouer là où tant de femmes réussissent. Pourtant être mère ne rend pas plus femme.

J’ai honte d’y avoir cru, de m’être projetée avec un nouveau bébé dans une nouvelle vie. J’ai honte d’avoir déçu mon mari et mon fils qui ne sera pas grand frère.

Est-ce que si je n’avais rien dit j’aurais moins honte et je me sentirais moins coupable ?

NON, tellement NON. Au contraire. A toute cette peine et cette culpabilité s’ajouterait la honte du secret, du truc tabou qu’on doit subir en silence.

Je ne crois pas à la superstition, pour ma 1ère grossesse je n’ai rien dit et j’ai eu honte de mon IVG. Pour ma 2e grossesse je l’ai dit très tôt et tout s’est bien passé. Pour cette 3e grossesse je l’ai dit très tôt et ça ne s’est pas bien passé. Il n’y a pas de règle. Faites comme vous le sentez, mais faites le parce que c’est VOTRE choix, non pour des raisons obscures de coutumes, de pratiques, de peurs qu’on projette sur vous.

 

Si vous voulez garder le secret, parce qu’il est aussi très doux et grisant de garder pour soi une grossesse, c’est très bien et légitime. Ne vous forcez à rien. Mais c’est à vous de faire ce choix, parce que la encore c’est un choix, non une règle normative qui sort de nulle part mais qu’on applique à la lettre parce qu’on ne sait jamais.

Mais je comprends totalement pourquoi on préfère ne pas parler de sa grossesse, pour ne pas avoir à parler de sa fausse couche, parce qu’on a le droit de ne pas vouloir affronter les questions, les remarques maladroites ou déplacées. Étant dans un monde qui n’est ni bienveillant ni empathique, on préfère se taire et ravaler nos larmes. Puis un jour au détour d’une conversation entre copines on apprend qu’on a vécu la même chose, les contextes sont différents mais le ressenti est le même. La même peine au coeur, les yeux toujours un peu tristes et la voix toujours un peu tremblante 5 ans, 15 ans ou 30 ans après.

 

On dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant, c’est très vrai, mais il en faut également un quand on en perd un autre. Ne restez pas seule pour ne pas ajouter à la peine l’isolement, la honte et la culpabilité. On n’a rien fait de mal. On ne voulait pas ça. On n’y est pour rien.